C’est un chiffre qui a choqué plus d’un naturaliste et plus d’un chasseur : les 1er et 2 octobre 2013, sur ordre du préfet, les agents de l’ONCFS ont abattu très exactement 197 bouquetins âgés de plus de 5 ans, dans le massif de Bargy, en Haute-Savoie. À l’origine de cette décision brutale et spectaculaire : la sécurité sanitaire, en l’occurrence des bouquetins de ce massif étaient porteurs de la brucellose (maladie qui touche les bovins, porcins, caprins, équidés… et qui peut se transmettre à l’homme par ingestion de produits laitiers contaminés et se traduit à terme par des douleurs articulaires ; aucun vaccin n’existe à ce jour).

Or, si cet abattage a choqué, c’est parce qu’il est révélateur d’une conception et d’un statut de la faune sauvage à la limite de l’absurde en France, comme l’explique fort bien la revue Grande Faune dans sa livraison de décembre 2013. Souvenons-nous. Le bouquetin, qui a la particularité d’avoir la distance de fuite la plus faible de tous les mammifères européens, a été victime d’une pression de chasse déraisonnable dès le Moyen Âge, à telle enseigne qu’il fut menacé d’extinction au XIXe siècle dans toute la chaîne alpine, car recherché à la fois pour sa fourrure, sa venaison et son trophée. Et c’est aux rois d’Italie que l’on doit son sauvetage, notamment à Victor- Emmanuel II qui imposa une protection totale.

Qui plus est, la création en 1922 de la réserve du Grand Paradis les protégea un peu plus. Ce qui ne signifiait pas pour autant que la chasse y était totalement interdite, mais elle y était strictement encadrée. En France, l’espèce disparut et fut réintroduite dans les années 1950 grâce à des bouquetins italiens. Son statut est simple : il est certes un gibier mais non chassable ! L’espèce va très vite proliférer tant il est vrai que les estimations actuelles font état de 40 foyers et 10 000 têtes.

Or, les groupes de travail sur le bouquetin n’ont pas un moment pensé que ce chiffre important pouvait à terme poser des problèmes sanitaires. Au contraire, ils « ne montrent guère une prise en compte suffisante d’une gestion par la régulation ». Mieux ou pire, ils ont compté sur l’“autorégulation” et ne parlent pas des pathologies… Ce qui devait arriver, arriva avec ce foyer infectieux dans le massif de Bargy, à la fois chez des bovins (un enfant qui avait consommé de la tomme a indirectement été touché) et chez des bouquetins. D’où la décision du préfet d’abattre tous les bouquetins âgés de plus de 5 ans : une décision normale car décidée juste avant le rut pour limiter la propagation de la maladie.

On peut amèrement regretter que cette décision n’ait pu être prise beaucoup plus en amont. Pourquoi, en effet, ne pas limiter cette population de bouquetins par la chasse, en accordant un plan de tir, comme c’est le cas des autres grands animaux, comme le suggère Grande Faune ? En effet, cela permet d’éviter la surpopulation « en supprimant les animaux malsains repérés suffisamment tôt ». Et d’expliquer avec justesse qu’aujourd’hui, le bouquetin n’est plus menacé de disparition : il faut en tirer les conséquences et se doter de moyens juridiques adaptés à sa régulation là où il prolifère.

Ne nous leurrons pas, cette affaire montre que la fameuse “sanctuarisation” prônée par bien des associations écologistes depuis des décennies n’est pas la solution. Notre capridé en est “une victime historique”. Les pouvoirs publics le comprendront-ils et oseront-ils autoriser sa chasse plutôt que d’organiser des abattages réalisés par des agents de l’État ?