L’affaire commençait mal. En ce début de mois d’octobre, les oracles de la météo nationale avaient prévu un temps clément, du soleil, traversé par quelques nuages selon la formule consacrée. On avait du mal à les croire en partant de l’Ouest parisien avec ces bourrasques de pluie qui n’avaient pas cessé depuis le milieu de la nuit. Heureusement passé Mantes-la-Jolie, cette pluie d’automne s’était calmée ; visiblement, nous n’aurons pas ce mauvais temps qui transperce tout, les vêtements, les chiens et le moral des acteurs ! Nous mettons le cap sur la Normandie, entre Lisieux et Évreux, sur la commune de Brionne (Eure) et le Domaine de la Béhotière, une vieille connaissance, puisque nous lui avions consacré un développement voilà maintenant deux ans (Jours de Chasse n° 49). À l’époque, nous nous étions rendus pour leur jolie chasse de bois ; cette fois, nous portons notre dévolu sur la chasse de plaine. Au bout d’une heure et demie de route, nous arrivons à destination : la route est facile, sans histoires (les travaux titanesques du centre-ville d’Évreux sont oubliés !). L’entrée est immanquable avec ces immenses volières de faisans et de perdreaux que nous longeons. Nous y retrouvons les ordonnateurs des lieux, James Prognon et sa femme Sonia, qui s’occupent du domaine depuis une quinzaine d’années.

Quelques chasseurs sont déjà attablés en face d’un petit déjeuner que n’aurait pas renié Gargantua, si l’on en juge par les tranches de terrine proprement phénoménales qui seront englouties à la vitesse de l’éclair… Chez les Prognon, les passionnés de chasse devant soi peuvent difficilement rêver mieux : chaque chasseur est seul sur un territoire qui lui a été attribué, James Prognon ne faisant jamais chasser – avec raison – ensemble des disciples de Saint-Hubert qui ne se connaissent pas (« car il n’y a pas mieux pour qu’ils passent une très mauvaise journée »).

Nous chasserons le perdreau gris dans les betteraves : un luxe aujourd’hui, tant il est vrai que les couverts pour chasser les perdrix au chien d’arrêt ne sont pas vraiment légion. James Prognon ne cache pas que, sur les 500 hectares de plaine du domaine de la Béhotière (auxquels s’ajoutent 500 hectares de bois), c’est un défi permanent, car « nous ne faisons que louer les terres ». Une des clés du renouveau du petit gibier de plaine est d’avoir la maîtrise de l’exploitation agricole (notamment pour la taille et le type d’assolements) ; et quand ce n’est pas possible, « on négocie à chaque saison avec les agriculteurs », explique-t-il, lesquels ont plus économies en tête que qualité de l’habitat de la faune sauvage. Cela se traduit bien souvent, trop souvent, par des chaumes broyés dès la moisson achevée, par la disparition des bandes enherbées… [...]

Ce matin, nous avons à notre disposition une vaste plaine de 180 hectares, avec trois grands champs de betteraves, séparés par une route peu passante, ce qui n’empêche pas l’impérieuse nécessité d’avoir des chiens qui aient du rappel… En face de nous, deux parcelles de betteraves, gorgées d’humidité, ce qui, d’un côté, offrira de quoi rafraîchir ma chienne (car la journée s’annonce chaude) mais, de l’autre, poussera les perdrix à venir se sécher à découvert… Ne nous leurrons pas : étant une chasse dite commerciale, le domaine procède à des “recharges” hebdomadaires en fonction des oiseaux qui ont été tirés. Néanmoins un important fonds de chasse est lâché en juillet et août (James Prognon élève tous les ans 40 000 oiseaux, perdrix et faisans confondus) et, en octobre, les compagnies ont tout ce qu’il y a de plus sauvages comme nous nous en apercevrons...